Lettre ouverte aux artistes

Publié le par Guillaume Fortin

Lettre ouverte aux Artistes

 

 

Ecrite en réaction à l’expulsion de l’association SLAAF

des ateliers d’artistes du 1, place de Lorette.

 

 

 

 

            Cette lettre est adressée aux Artistes. C’est-à-dire : à tous ceux qui, de façon générale, ne savent qualifier autrement que d’artistiques leur investissement personnel au sein de la société, leur recherche ou leur travail de création, reconnus ou non, rémunérés ou non, subventionnés, aidés, produits, diffusés ou rien de tout cela ; à tous ceux qui, aussi, se réclament ou s’autoproclament Artistes, souhaitent le devenir ou pensent l’être déjà, sans s’être posé la question de savoir ce que cela peut bien vouloir dire “ être Artiste ” ; enfin à tous ceux qui, d’une certaine façon, le sont nécessairement, des Artistes, parce qu’ils travaillent justement cette question même (qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire “ être Artiste ” ?) dans l’implication de leur vie, non pas à trouver la réponse à cette question, mais à la problématiser, à la rendre concrète. Sachant que cette question, de savoir si untel est un artiste ou ne l’est pas, ne se pose plus en ces termes dès lors qu’elle est la question principale, la question que l’Artiste travaille dans sa pratique et son investissement. “ Etre Artiste ” signifiant donc, en ce sens, ne plus l’être, ou l’être autrement, c’est-à-dire problématiser la question de l’Art autrement. Or cette lettre se veut être l’expression d’un regret, d’un profond regret quant au comportement de ces artistes d’aujourd’hui, et quant à leur manque d’engagement pour faire de cette question une question “ autre ”, justement, une question ouverte.

            Si l’Art est mort aujourd’hui, s’il est mort sans nous, si même sa mort ne nous touche plus, ne nous émeut plus ni ne nous concerne, c’est que nous devons faire aujourd’hui autre chose que de l’Art, et commencer par cela, avant de se poser la question de savoir si nous sommes ou non des Artistes, ni même si nous sommes seulement capables de “ faire de l’Art ” notre vie. Commençons par faire autre chose que de l’Art et nous verrons ensuite, ou bien même on verra ensuite pour nous, si nous avons été capables de faire de l’Art “ autre chose ”. Commençons par pratiquer l’atelier ou la scène autrement, commençons par ouvrir les portes, commençons par sortir nous-mêmes pour laisser la place à la vie sociale qui nous entoure, laissons cette vie sociale reprendre ses droits sur l’espace de l’Art qui lui est propre. Arrêtons de faire de nos petits projets privés “ de l’Art ”, léguons les outils de notre Art à ceux qu’on voulait peindre ou filmer, à “ cela ” qu’on voulait peindre ou filmer, permettons seulement à cette vie “ là ” de se vivre et de s’exprimer. Car si l’Art est mort, comme on nous l’assène depuis déjà longtemps, comme Dieu, l’Histoire ou l’Humanité, plus grave est la question de notre propre mort en tant qu’individu. Ne soyons pas des Artistes morts, mais s’il faut encore une fois tuer l’art aujourd’hui, tuons le pour être autre chose que des Artistes morts ou des Artistes assassins alimentant la petite mort de l’Art. Dépeuplons nos écoles, quittons nos ateliers, faisons de notre espace un voyage, de nos territoires  une terre en friche. 

            Car en ce jour, encore, si l’Art est mort, c’est qu’on l’a assassiné.

 

 

Guillaume Fortin, Marseille, le 30 avril 2002.

 

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