Occulte héros 4

Publié le par Guillaume Fortin

QUATRE

 

 

Ma sœur me téléphone pour me convaincre d’aller voir mon père. Elle me dit qu’il m’invite à une soirée sur la côte d’azur. Près de St Tropez. Et puis qu’il va m’offrir un costard, pour l’occasion. 

Je suis place de Lenche avec ma sœur, on boit un café.

On se dit aussi qu’il faudra qu’on aille voir maman, un de ces quatre.

Au pied de la petite villa, rénovée façon Hollywood, y a mon père et Simone, vautrés sur des fauteuils gonflables – l’un bleu pour mon père, l’autre rose pour Simone –  flottant sur l’eau de la piscine aussi bleue que le ciel et la mer, juste derrière, en perspective.

Ils ont tous les deux à la main un grand verre de pastis noyé de glaçons.

On se sert un pastis, avec ma sœur. On le boit, les pieds dans l’eau, pendant que mon père et ma belle-mère flottent tranquillement.

            Je me mets en caleçon et on se fout à l’eau avec ma sœur. On commence à nager de bord à bord. On reste un bon moment comme ça, à nager en silence, tous les deux.

En sortant de la piscine, je me retrouve avec mon père et Simone, lui en smoking, elle en tenue de soirée. On dirait deux pingouins raides bourrés sur la banquise.

Je prends le volant du cabriolet de mon père. On descend au centre ville par la corniche. On fait la boucle jusqu’au Vieux Port et puis je prends la rue Paradis en contre sens pour chercher un tailleur juif.

Le premier que je trouve, je m’y arrête.

C’est – paraît-il – une nouvelle couleur qu’on ne fait qu’en Italie. Une espèce de gris qui tendrait vers un bleu pétrole.

Je règle avec la carte de crédit de mon père. Le tailleur me fait les ourlets sur place et je sors du magasin relooké à l’image mentale que je me fais de moi-même.

Je grimpe à l’avant de la bagnole.

Mon père sort une bouteille de champagne et commence à essayer de la picoler tout en se marrant parce que c’est vraiment pas pratique de boire du champagne à la bouteille avec le vent dans la gueule. 

Je comprends rien à ce qu’ils se racontent tous les deux, derrière. Je crois qu’on ne parle pas la même langue.

C’est une espèce de petite ville balnéaire comme il y en a mille autres sur la côte d’azur, rivalisant de palmiers, de mini casinos et de rhumeries exotiques pour les touristes beaufs de l’été. Mais il y a personne sur la grande avenue qui longe la mer.

Je me dirige en suivant les indications loufoques de mon père.

Le truc est finalement en plein milieu, on ne pouvait pas le rater.

A l’intérieur, on dirait une immense boîte de nuit. Les gens ont tous l’air connus.

Mon père me présente le mec qu’organise cette soirée où tout le monde picole autour du bar. Il ressemble à Johnny.

Il commence à nous parler de nanas et nous dit qu’il y en a pour tous les goûts.

Je laisse mon père avec Johnny et m’installe au bar.

Je commande une bouteille de whisky que je paye avec la carte crédit de mon père.

Une nana, genre mannequin, brune aux yeux verts, vient s’asseoir à côté de moi.

Pendant un moment, elle me regarde sans rien dire.

Elle a les iris d’un vert intense ciselées de taches marron et de pointes de jaune et de bleu. Elle est brune, mais sa peau est laiteuse, presque transparente.

Après m’avoir fixé comme ça, un bon moment,  sans rien dire, elle pose sa main sur mon entrejambe et me sort, avec une voix de robot : « Moi Anastazia, toi en avoir plein les couilles, toi marier Anastazia, moi te vider les couilles. »

Je lui dis que je cherche pas spécialement à me marier.

            Elle répète : « Moi te vider les couilles ! »

            Je lui sers un verre et me remets à observer la salle.

Ma voisine me demande une carte de crédit. Je lui donne celle de mon père avec laquelle elle émiette un peu de cocaïne pour en faire deux lignes de poudre bien fines. Je me lève et pars en embarquant la bouteille de whisky. Elle se lève en même temps que moi sans rien dire et fait mine de m’accompagner.

J’y fais pas trop gaffe. Je me dis qu’elle va bien finir par me lâcher les baskets.

Je m’éloigne sur l’interminable trottoir qui longe la plage.

Je me retourne et m’aperçoit qu’Anastazia me suis toujours, marchant comme un robot moulé aux formes idéales de la femme fatale. J’ai un frisson dans le dos.

Je crie : « Non ! Pas de mariage ! Pas de vidage de couilles ! Tu peux retourner dans ton pays ! »

            Mais elle n’a pas l’air de comprendre et se rapproche pour se mettre à marcher à côté de moi. Je pense qu’on ne parle pas la même langue et me demande comment je vais faire pour lui expliquer.

            Je continue à me balader mais ne passe pas inaperçu. A cause d’elle, tout le monde me regarde.

Du coup je m’arrête à côté d’un clochard qui joue de la guitare assis sur le muret qui sépare la chaussée de la plage.

            Il me tend la main en se présentant : « Johnny. »

            Je lui réponds : « Enchanté. » Alors, il me sert la main, puis se tourne vers Anastazia et lui tend la main à son tour.

            Quand Johnny revient, il a ramené pas mal de trucs. On voit pas trop, dans le noir, mais je pensais pas qu’il pouvait y avoir autant de bois sur la plage.

Quand il allume tout ça et que ça commence à faire des flammes pleines de couleurs, bleu, vert, rose, orange, violet, c’est là que je me rends compte que c’est pas du bois mais des tas de trucs en plastoc que la mer à dû rejeter sur la grève.

            Johnny se met à jouer de la guitare autour du feu.

Les jeunes tapent très fort sur leur percu. Johnny fait ce qu’il peut pour qu’on puisse continuer à l’entendre. Il se met à crier.

Il ne reste plus qu’Anastazia et Johnny autour du feu. Elle s’est rapprochée de lui, ils sont face à face dans les premières lueurs du jour, ils se regardent dans les yeux en silence. Il n’y a plus que le bruit de la mer. Anastazaia lui dit : « Toi en avoir plein les couilles… Toi marier Anastazia… Moi te vider les couilles… ».

J’ai une sensation de brûlure et de sécheresse au niveau de la bouche et de la gorge. Puis la brûlure se déplace dans le crâne et s’intensifie, lancinante et sournoise. Doucement, la chaleur se répartit le long de mon corps jusqu’à me brûler la peau. J’entends une ambiance de foule. Des familles, des enfants.

Je me redresse tant bien que mal. J’ai la bouche pâteuse et sèche. J’ouvre les yeux. Il y a des flammes. Je suis en plein milieu de l’enfer.

Il y a plein de monde autour de moi. Tout le monde est en maillot de bain. Sauf moi. Je suis habillé de sable.

Non, j’ai un pantalon. Je suis juste enfoui dans le sable qui colle encore au tissu de mon fute. J’ai dû me baigner tout habillé. Ou bien est-ce un rêve, que j’ai fait ?

En enlevant le sable de mon pantalon, je constate qu’il est brûlé par endroits, surtout en bas.

Je récupère ma veste de costard bleu pétrole qu’est juste devant moi et plonge ma main dans la poche intérieure. Plus de portefeuille.

Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire avec des cartes de crédit, les mafieux des pays de l’Est ? Peut-être juste traverser toute l’Europe en autoroutes.

La casquette de Johnny est poser sur le sable juste devant moi. Je me penche pour la prendre et la mettre sur ma tête, en me disant que ça me protégera du soleil. A l’intérieur de la casquette usée,  il y a quelques pièces.

Les deux bras accoudés au comptoir de la roulotte, je commande un coca et paye avec la monnaie que j’ai trouvée dans la casquette.

Ma canette à la main, en plein soleil, je me dirige vers le bord de la route pour faire du stop.

Le pouce en l’air, je vois arriver le cabriolet rouge de mon père, décapotée, mon père au volant, tout seul.

Arrivé à ma hauteur, mon père s’arrête en freinant brusquement sur le bas-côté. Le dérapage de la voiture provoque un gros nuage de poussière qui m’aveugle durant quelques secondes.

Mon père ouvre la portière, descend de la voiture, redresse son siège, monte à l’arrière et se couche en chien de fusil sur la banquette de derrière.

Je m’installe au volant, visse ma casquette à l’envers sur la tête et ouvre la boîte à gants pour chercher une paire de lunettes de soleil.

Dans la boîte à gants, je trouve une capote usagée avec un reste de sperme jaunâtre dans le réservoir. Je me demande si cette couleur vient du fait qu’il est là depuis un moment ou si on a le sperme qui jaunit en vieillissant. Et puis, avant de la remettre à l’intérieur, je me dis que je viens de là.

Je porte mon père jusque dans son lit et me dis que ce serait quand même mieux de le déshabiller. Je lui enlève ses chaussettes et ses chaussures. Son pantalon puis sa chemise.

Comme ça, presque nu, il ressemble à un bébé.

Je lui touche les mains et je me rends compte que je n’avais jamais vraiment touché mon père, avant.

Occulte héros 5

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